Une « bonne » manipulation s’étaye à bas bruit. On peut bien sûr dans certaines situations, repérer que quelqu’un se fait manipuler. Mais ça n’est pas toujours le cas.
La manipulation est un jeu SUBTIL parce qu’elle use de techniques verbales et non verbales qui visent à l’insu du sujet une soumission librement consentie (Un très bon livre porte ce titre d’ailleurs*).
Elle est INSIDIEUSE et SILENCIEUSE parce qu’elle ne se présente jamais clairement comme telle et qu’elle s’infiltre peu à peu dans la dynamique relationnelle.
Dans le film « À perdre la raison*1», la personne manipulatrice est incarnée par André , un médecin.
Dans l’inconscient collectif, l’image du médecin est celle de celui qui détient un pouvoir et l’utilise à bon escient. Cette image lui confère également une certaine « innocence »dont le personnage use et abuse.
André a pris sous son aile Mounir, quand il était enfant. Il était au Maroc et il l’a emmené en France. Mounir a rencontré Murielle, une jeune institutrice avec laquelle il projette de se marier.
Jusqu’ici tout va bien.
Même si déjà, un certain flou se manifeste au niveau de la relation entre Mounir et André. Adoption? On ne sait pas. On apprend aussi qu’André a épousé la soeur de Mounir dans un mariage blanc…Et qu’André voudra marier la soeur de Murielle au frère de Mounir…Oui, ça devient compliqué.
André apparaît comme quelqu’un de très GÉNÉREUX et répond à toutes les attentes de Mounir. Ainsi, il lui fait ses « devoirs »pendant qu’il se détend sur le canapé et lui propose de travailler à son cabinet médical lorsqu’il échoue à son examen. Aussi Il offre le voyage de noce au couple et des cadeaux de valeur à foison. Il s’occupera aussi merveilleusement bien des cinq enfants qui naitront tout au long de l’histoire.
Jusqu’ici, tout va bien.
Très vite la PROMISCUITÉ du couple avec le médecin devient dérangeante. Le médecin propose ainsi à Murielle de venir vivre avec eux. On s’étonne que ce ne soit pas Mounir qui en fasse la proposition le premier. André lui dit « Je sais qu’il n’oserait jamais te le demander mais depuis quelque temps je crois qu’il aimerait que tu viennes vivre avec nous ».
Et cette promiscuité est entretenue par les trois protagonistes. Mourir et Murielle invitent André à leur voyage de Noce. Il est invité à être le témoin de leur mariage et cerise sur le gâteau, il devient le médecin traitant de Murielle.
Murielle et Mounir pourraient bien prendre leur indépendance vis-à-vis d’André mais celui-ci parvient à se rendre indispensable et les installe dans un confort matériel et affectif qui n’est que d’APPARENCE gratuite.
En effet, très vite, André prend le CONTRÔLE de la situation. Et devient le MAÎTRE et le MEDIATEUR de cette triangulation.
Il est chez lui et c’est lui qui décide de qui vient et de qui ne vient pas perturber son petit monde. Ainsi, lorsque la soeur de Murielle leur rend visite et questionne André sur son mode de vie tout en suggérant qu’il n’en a pas et qu’il vit par procuration, il le prend très mal.
Il s’arrange donc pour que Mounir dise à Murielle que sa soeur ne remettra plus les pieds chez eux.
Et tout le long, IL FAIT PASSER SES MESSAGES PAR UN AUTRE.
Dans cet acte il parvient aussi à ISOLER Murielle de sa famille. D’ailleurs, les échanges avec l’extérieur n’existent pas. Le couple ne côtoie pas d’amis.
L’endettement crée par André et ses multiples services génère une CULPABILITÉ de la part de Mounir et Murielle qui ne se permettent pas de remettre en question le fonctionnement et les intérêts du médecin. Il souffle le chaud et le froid et sème la CONFUSION, technique parfaite de manipulation. Un homme si gentil, si généreux, peut-il avoir de mauvaises intentions?
Dans cette fusion triangulaire, Murielle fatigue et perd son identité. On la voit se défaire de sa vitalité, prendre des médicaments et consulter une psychologue. Elle se sent responsable de tous les problèmes et on les lui fait d’ailleurs porter.
Quand à Mounir, il est dans le déni de la situation, n’est jamais responsable de rien et trouve des excuses pour s’absenter au Maroc quand la tension monte. Il est resté un enfant et n’a jamais fait l’apprentissage de responsabilités.
Et l’omnipotence du médecin devient omniprésente.
Dans ce cadre mortifère, Mounir et Murielle s’accordent pour partir vivre au Maroc, seuls avec leurs 5 filles.
Cependant, quand Mounir annonce la nouvelle à André, il sonne le glas. Le visage d’André change et le médecin ne peut plus contenir les apparences. Il se dévoile:
« Tu comptes plus sur moi, pour rien, t’as compris? On va tirer un trait …Je me saigne pour toi depuis 20 ans, tu me remercies comme ça? »
LA DETTE tombe. La dette lourde et sombre de sa généreuse contribution. La fameuse dette qui dit: « Après tout ce que j’ai fais pour toi ». Celle qui dit aussi: « tu n’es rien, je te POSSÈDE »
Cette dette qui tendait déjà l’atmosphère et qui faisait barrage à leur capacité de penser.
Cette dette INFANTILISANTE qu’il chante par la suite à Murielle dans un huit clos en voiture:
« Non mais t’as quel âge? Je ne vous laisserais jamais faire une connerie pareille …Tu sais comment on les élève les petites filles au Maroc? »
André ne veut pas perdre sa source de jouvence.
Et la cage se referme sur le couple qui se plie à la volonté d’André avec lequel ils achèteront une grande maison…et s’ensuivra un infanticide de cinq enfants de la main de Murielle…Tragédie.
On trouve dans ce film tout le cocktail de la manipulation «bienveillante». André n’a pas de vie et surtout, il n’a pas d’identité, la seule chose qu’il a, c’est du pouvoir, avec lequel il se regarde dans son miroir. Oh narcissisme…
Le plus remarquable dans ce film, c’est l’évidente CONFUSION dans laquelle sont plongés Murielle et Mounir. Ils ne parviennent plus à penser ni à prendre des décisions par eux-même, ils sont dé-subjectivés par l’EMPRISE d’André. La confusion est cet état dans lequel il n’est plus possible de conscientiser les choses. Ils deviennent alors des objets. Toi, je te mets là, toi, tu te mets là.
André s’approprie ce qu’il n’a pas et surtout ce qu’il n’est pas: «Quelqu’un»
- * La soumission librement consentie. Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Puf, 1998.
- *1 À perdre la raison. Réalisé par Joachim Lafosse. 2012. (inspiré de l’affaire Geneviève Lhermitte)
GERET Diana
NICE et ST LAURENT DU VAR
Psychologue clinicienne
Praticienne en hypnose
n° ADELI: 069308898
Merci beaucoup pour cet article très interessant je vais le partager sur fb