HANDICAP ET REPRÉSENTATION SOCIALE

Ceci est un extrait retranscris en français d’une réflexion animée par Aimée MULLINS au sujet des représentations du handicap.

J’ai volontairement conserver le mot « adversité » pour rester au plus proche de l’anglais et pour le sens qu’il révèle. Il peut néanmoins être remplacé par « différence » ou « difficulté » pour une traduction plus proche du français. Le retranscription ne vaut pas la vidéo. Vous pouvez néanmoins la consulter en anglais ci dessous.

Aimée MULLINS est une athlète handisport, actrice et mannequin américaine, née en 1976 en Pennsylvanie.

« J’aimerais partager avec vous une reflexion que je me suis faites il y a quelques mois, alors que j’écrivais un article pour une revue.

J’ai toujours mon dictionnaire des synonymes sous la main quand j’écris mais bien que j’avais déjà terminé de rédiger mon article, j’ai réalisé que je n’avais jamais de ma vie regardé le mot « handicapé »pour voir ce que j’y trouverais.

Voilà ce que j’y ai trouvé:

« HANDICAPÉ », adj : Infirme, impotent, inutile, accidenté, en panne, estropié, mutilé, blessé, âbimé, boiteux, usé, affaibli, impuissant, castré, paralysé, sénile, décrépit, sur le flanc, retapé, fichu, claqué, fissuré, eliminé. voir aussi faible.

Antonymes: En bonne santé, fort, capable.

( webster’s New world Thesaurus: Print issue, 1982.)

(…) J’avais juste passé « mutilé »que ma voix s’etait brisée.

(…) Je me suis dit que ça devait être une vieille édition. Mais en fait, l’édition datait des années 80′, au moment où je devais commencer l’école primaire, au moment où je commençais tout juste à apprendre à me connaître en dehors de la cellule familiale et avec les autres et le monde autour de moi.

Heureusement, je n’utilisais pas ce dictionnaire à cette époque là.

D’après ces synonymes, il semblerait que je sois née dans un monde qui percevait les gens comme moi comme n’ayant absolument rien pour eux alors qu’en fait, aujourd’hui, je suis célèbre pour les opportunités et les aventures que la vie m’a apportée.

Je suis alors allée regarder dans l’édition 2009 en m’attendant à observer une révision notable.

(…) Malheureusement, ce n’était pas le cas.

J’ai trouvé les deux derniers mots sous « antonymes proches » particulièrement derangeants:

« entier »et « sain »

Ce n’est pas juste une histoire de mots. C’est ce que nous pensons des gens quand nous les nommons avec ces mots. Ce sont les valeurs derrière les mots et comment nous construisons ces valeurs.

Notre langue influence notre pensée et notre manière de voir le monde et de voir les autres.

En fait, beaucoup de sociétes antiques dont les Grecs et les Romains croyaient que prononcer une malédiction oralement était très puissant, car dire une chose à haute voix là faisait exister.

Alors, quelle réalité voulons nous faire exister?

Une personne qui est limitée ou une personne qui a des capacités?

En faisant quelque chose d’aussi simple que de nommer une personne, un enfant, nous pourrions bien étouffer et assombrir ses possibilités.

Est-ce que ce que nous souhaitons, ce n’est pas pourtant leur ouvrir des portes?

Une des personnes qui m’a ouvert les portes fut mon pédiatre, le dr P (…)

Le temps que j’ai passé à l’hopital était plutôt agréable, à l’exception de mes séances de kinésithérapie. Je devais faire des répétitions interminables d’exercices, avec de gros élastiques de différentes couleurs. Cela pour aider la construction des muscles de mes jambes.

Je détestais ces élastiques plus que tout. Je les détestais et je les insultais.

Je les haïssais.

Et à 5 ans déjà, je négociais, avec le Dr.P pour essayer de ne plus faire ces exercices, evidemment sans succès.

Et un jour, il est venu à ma séance, une de ces séances épuisantes et sans pitié. Et il m’a dit:

« Whaou! Aimée tu es vraiment une petite fille forte et puissante, je crois que tu vas casser un de ces élastiques. Quand tu le casseras, je te donnerais 100 dollards. »

C’était une simple stratégie pour me faire faire ces exercices dans la perspective que je devienne la petite fille de 5 ans la plus riche de l’étage.

Mais ce qu’il a fait pour moi, ça a été de transformer mon affreux quotidien en une expérience nouvelle et prometteuse.

Je me demande dans quelle mesure sa perception et le fait qu’il m’ait déclarée une petite fille forte et puissante ont dessiné ma propre perception de moi-même loin dans le futur, une personne par nature forte, puissante et athlétique.

C’est un exemple de la manière dont un adulte en position de pouvoir peut réveiller le pouvoir d’un enfant.

Mais lorsque je lis les synonymes afférents au mot « handicapé », je comprends que la langue ne nous permet pas d’évoluer dans la réalité que nous désirons tous, de donner à un individu la possibilité de se considérer capable.

(…)D’un point de vue médical, mes jambes, la chirurgie laser pour l’altération visuelle, le genou en titane ou encore la prothèse de hanche pour les corps vieillissants, permettent aux gens de développer pleinement leur potentiel et d’avancer au delà des limites que la nature leur a imposées.

La technologie révèle ce qui a toujours été, que tout le monde a quelque chose de rare et de puissant à offrir à notre société et que la capacité d’adaptation humaine est notre plus grand atout.

Les gens m’ont toujours incité à combattre » l’adversité »

Cette phrase ne m’a pas toujours plu. (…)

Ce que cela sous-entend, c’est l’idée que le succès ou le bonheur consiste à ressortir de l’autre côté d’une experience éprouvante, indemne et sans trace de l’experience.

Comme si mes réussites dans la vie étaient le fruit de ma capacité à éviter et passer au travers des écueils présumés d’une vie avec des prothèses ou de ce que les autres perçoivent de mon handicap.

En fait, nous sommes changés, nous sommes marqués par un défi, que ce soit physiquement ou émotionnellement.

Et j’ai envie de dire que c’est une bonne chose.

« L’adversité »n’est pas un obstacle que nous devons contourner pour reprendre le cours de notre vie. Elle fait partie de notre vie. J’ai tendance à la voir comme une ombre. Parfois je là vois en grand, parfois en petit mais elle est toujours avec moi.

Je n’essaye pas de diminuer l’impact de l’épreuve d’une personne.

Il y a de l’adversité et du défi dans la vie et tout cela est très réel et différent d’une personne à l’autre. Mais la question n’est pas si vous allez ou non rencontrer l’adversité mais comment vous allez là rencontrer.

Notre responsabilité n’est pas de protéger de l’adversité ceux que nous aimons mais de les préparer pour qu’ils soient à la hauteur.

Et nous ne leur rendons pas service quand nous leur faisons sentir qu’il ne sont pas équipés pour s’adapter.

Il y a une différence, une distinction importante entre le fait médical objectif que je sois amputée et l’opinion sociale subjective de dire si je suis oui ou non handicapée.

Et vraiment, le seul handicap réel et répété que j’ai eu à affronter, c’est que tout le monde pense toujours que je puisse correspondre à ces synonymes.(…)

Peut- être que le modèle existant de ne regarder que ce qui est cassé en nous et comment on va le réparer s’avère plus handicapant pour l’individu que la pathologie elle-même.(…)

Il ne s’agit pas de minimiser ces moments pénibles ni de les voir comme quelque chose à éviter ou à écarter mais plutôt de trouver les chances cachées dans cette difficulté.

Il ne s’agit pas tant de vaincre l’adversité que de nous ouvrir à elle, l’enlacer, lutter avec elle, peut-être même de danser avec elle.

Si nous voyons l adversité comme naturelle, régulière, utile, sa présence n’est plus un fardeau.

(…)Tant que nous ne sommes pas mis à l’épreuve, nous ignorons de quoi nous sommes fait (…)

L’adversité est juste un changement auquel nous ne sommes pas encore adaptés.

Je pense que la plus grande adversité que nous ayons crée, c’est l’idée de normalité.

ALORS, qui est normal?

Il n’y a pas de normal.

Il y a le commun…

Il y a le typique…

Il n’y a pas de normal.(…) »

Vous pouvez consulter la vidéo ci dessous.